Editeur : Julliard
Parution : 19/08/2010
Nombre de pages : 304
Genre : Littérature française
L'auteur :
Marocain de naissance, Fouad Laroui est ingénieur et économiste de formation. Professeur de littérature à l'université d'Amsterdam, romancier de langue française, poète de langue néerlandaise, éditorialiste et critique littéraire, Fouad Laroui court le monde chargé de son sac de voyage et de sa vaste culture. Il est l'auteur de plusieurs romans parus chez Julliard : "Les Dents du topographe", "De quel amour blessé", "Méfiez-vous des parachutistes", "La Femme la plus riche du Yorkshire", "Le jour où Malika ne s'est pas mariée".
Quatrième de couverture :
1969 : les Américains débarquent sur la Lune et Mehdi atterrit au lycée Lyautey de Casablanca. L'instituteur, impressionné par l'intelligence et la boulimie de lecture de son jeune élève, lui a obtenu une bourse dans le prestigieux établissement français. Avec cet humour corrosif qu'on lui connaît, Fouad Laroui raconte le choc culturel que représente pour le petit Marocain la découverte du mode de vie des Français: ces gens qui vivent dans le luxe, mangent des choses incomestibles, parlent sans pudeur et lui manifestent un intérêt qu'il ne comprend absolument pas. Entre Le Petit Chose et Le Petit Nicolas, l'histoire émouvante et cocasse d'un enfant propulsé dans un univers aux antipodes de celui de sa famille.
Mon avis :
"Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre" : le jeune Mehdi va faire sienne cette expression de Blaise Pascal qui deviendra pour lui un précepte de vie. Jeune boursier agé de dix ans et l'un des meilleurs élèves de son village de Béni-Mellal, il débarque un après-midi d'octobre 1969 au lycée Lyautey de Casablanca, le creuset où se forme l'élite maroco-française.
Déposé prestement par un oncle, muni d'une vieille valise, de son maigre trousseau et encadré de deux dindons le jeune garçon fait une entrée fracassante dans un univers totalement inconnu.
Haut comme trois pommes, Mehdi est un enfant craintif, rêveur et épris de lecture. Il va découvrir, au cours d'une année riche en péripéties, l'amitié, le chagrin, les moqueries, mais aussi Verlaine, La Fontaine, la petite musique de nuit de Mozart, les promenades en yacht, le viandox, le hachis parmentier et surtout les subtilités de la langue de Voltaire :
"C'était écrit clairement dans la lettre qu'on leur a envoyée dès le mois de juin ! Le patronyme cousu sur le col ! Sinon, comment pourrai-je te rendre tes chemises après les avoir lavées ? Tu as quand même un patronyme ?
Mehdi regardait le sol (c'était quoi, un pâtre onime ?). L'ogresse renifla, ajusta ses lunettes et se pencha sur lui, toutes masses tremblotantes, comme un début d'éboulement."
Tour à tour tendre, cocasse et émouvante, "Une année chez les Français" est une jolie fable qui illustre parfaitement les difficultés d'intégration, le choc culturel ressenti par un jeune garçon qui se retrouve immergé dans un contexte étranger, ne pouvant plus faire appel à ses référents et ses repères habituels.
Fouad Laroui, tel Merlin l'enchanteur, jongle habilement avec les mots et les expressions, il m'a ravie par la finesse de sa prose et j'ai plongé avec délice dans son univers. Je conseille vivement la lecture de ce conte moderne, qui peut être lu par les ados comme par leurs parents et qui vous apportera quelques rayons de soleil dans la grisaille hivernale.
Un extrait :
"- Il s'absorba dans ses pensées, tout en lissant sa barbe. Puis il regarda Mehdi avec un intérêt grandissant.
- Sais-tu pourquoi tu es ici, un samedi après-midi, au lieu d'être chez toi ?
Non, je ne le sais pas. Je ne me suis même pas posé la question.
Régnier ne sembla pas entendre cette réponse qui se lisait pourtant clairement dans les yeux inquiets de l'enfant.
- Parce que tu es un pro-lé-taire ! lui assena-t-il d'une voix forte.
Mehdi eut envie de pleurer. Il ne connaissait pas le mot mais il sonnait comme une injure. Pourquoi ce barbu l'insultait-il ?
- Toi et moi, nous sommes tous deux des prolétaires. Tu es marocain, je suis français, mais au fond, nous partageons une même condition, un même destin : nous sommes les damnés de la terre ! Nous voici face à face, dans cette salle de Lyautey : c'est dans l'ordre des choses. C'est ainsi, cela a toujours été ainsi : le prolétaire surveille le prolétaire, pour le plus grand profit du Système. Les flics, les sans-grade, les mokhaznis, ce sont tous des prolétaires. Et il cognent sur qui ? Sur d'autres prolétaires, leurs semblables, leurs frères ! Tous tes petits camarades sont chez eux en train de manger de la brioche, M'Chiche fouette ses serfs, les rupins de mon âge sont en train de skier sur l'Oukaïmeden, comme ce facho de Dumont, le soleil brille au-dehors et nous deux, qu'est-ce qu'on fait ? On s'enferme dans une salle de classe pour que je te tienne à l'oeil ! C'est ça la logique du Système !
Mehdi se demandait quel goût avait la brioche. Régnier, contrarié, lui demanda :
- Et bien, tu ne dis rien ?
Pris de panique, Mehdi fit un effort pour imaginer une phrase, n'importe laquelle. Il voulut demander quel goût avait la brioche mais ses lèvres formèrent une autre question, qu'il s'entendit énoncer avec étonnement :
- C'est quoi un pro-lait-terre ?
Un large sourire s'épanouit sur les lévres de Régnier, ses yeux se mirent à briller, il se leva d'un coup et se mit à aller et venir sur l'estrade, d'un pas saccadé, le bras levé comme si sa main indiquait une direction. Il articula d'une voix puissante, proche du braiment :
- Un prolétaire, de part l'étymologie, c'est celui sur terre qui n'a rien d'autre que sa proles ; c'est à dire qu'il n'a que ses enfants !
Mehdi se demanda si l'homme ne se moquait pas de lui. Comment pouvait-il, lui, à 10 ans, avoir des enfants ? Le tribun continuait :
- Il ne possède pas de capital, le prolétaire, il ne jouit d'aucune rente, il n'habite même pas chez lui - ou, à la limite, comme moi, chez ses parents. On l'exploite de tous les côtés. Il n'est rien. Et un jour, pourtant, il sera tout !
Régnier embrassa la salle vide d'un coup d'oeil exalté et informa l'auditoire fantôme, ainsi que Mehdi, de ce fait étonnant :
- Oui ! Bien que, nous autres prolétaires, nous n'ayons, métaphoriquement, que nos enfants, nous sommes l'avenir de l'humanité !
Il pointa un index accusateur sur l'enfant, qui se faisait tout petit.
- Tu es l'avenir de l'humanité !
L'avenir de l'humanité, d'émotion, fit pipi dans ses braies. Il leva le doigt et demanda s'il pouvait aller au w.-c. Régnier, contrarié, comme s'il venait de découvrir que le prolétariat avait des besoins naturels, lui fit signe de sortir, d'une main méprisante qui semblait balayer ces basses contingences."
bonjour Isabels, joli blog, que je découvre via Hellocoton (où je ne vais presque jamais, malgré mon inscription!!)...Ce livre a été l'un de mes coups de coeur à sa sortie (il est d'ailleurs disponible en Poche maintenant), et tu en parles très justement! à bientôt!
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